Depuis deux ou trois ans, j’assiste de près et de loin au « shroom boom », la renaissance des champignons psychédéliques, mieux connus dans le milieu médical ou psychiatrique sous le nom de psilocybine, sa substance active. Des connaissances, collègues et amis de tous les âges, de 18 à 70 ans, s’administrent en micro ou macrodoses du « mush » pour calmer leur anxiété, venir à bout de leur dépression, de leur mélancolie ou de leur stress post-traumatique, quand ce n’est pas pour propulser leur créativité ou leur productivité. « Tout le bottin de l’UDA microdose en ce moment, blague une amie proche du milieu. C’est devenu la coke des années 2020 ! »
Là où le cannabis et l’alcool ont échoué, là où les antidépresseurs n’ont pas été plus efficaces qu’un placebo (selon les études, pour des états dépressifs de légers à modérés), les psychédéliques ont pris le relais pour certains.
Prescrite par le Dr Web à des volontaires curieux, la médecine ancestrale testée sur des générations d’adeptes était utilisée par les Autochtones des millénaires avant le Prozac ou le Paxil. La psychiatrie multipliait déjà les études cliniques dans les années 1950 — avec un certain succès —, mais fut stoppée brutalement dans son élan par le président Nixon en 1970. Terminé, le festival du grand élan de fraternité cosmique et des visions en kaléidoscope. Faites la guerre du Vietnam, pas l’amour. La dissolution de l’ego, ce sera pour une autre fois.
Si l’usage de la psilocybine est permis au Canada dans le cadre de thérapies assistées depuis cette année (l’usage fut annulé sous Harper), le cadre dans lequel les gens essaient la psilo est beaucoup plus vaste et peut même aider, selon certaines études, à éliminer la dépendance à l’alcool et à la cigarette. Ça semble trop beau pour être vrai.
« Si tu traites de ce sujet dans ta chronique, c’est que tu en as déjà pris », m’a fait remarquer avec un sourire en coin un ami trentenaire. En effet, mais à des fins de recherche littéraire seulement et sous supervision médicale avec deux médecins, un shaman et une sage-femme, tous vaccinés.
Lire une recette de confiture de prunes et goûter à mes confitures de prunes est une expérience totalement différente. Certaines sensations se traduisent difficilement en mots, comme l’impression de faire « un » avec l’univers.
Sociétés pas du tout secrètes
Le 22 septembre dernier, la Société psychédélique de Montréal organisait une journée de conférences sur la psilocybine. Étienne Billard, son directeur, est chercheur postdoctoral en pharmacologie à l’Université McGill. Il s’intéresse aux effets des psychédéliques (le LSD aussi) sur les neurones : « Nous souhaitons que la psilocybine soit légale et accessible, que les usagers ne soient pas des criminels et puissent recevoir une éducation à ce sujet. Il n’y a pas de dépendance associée au LSD et à la psilocybine. »
Le scientifique de 32 ans s’intéresse aux drogues depuis l’âge de 12 ans et en a fait son champ de recherche. « Cela fait une vingtaine d’années qu’il y a un renouveau dans la recherche scientifique à ce sujet pour l’anxiété et la dépression. Par contre, il n’y a pas d’efficacité prouvée pour le microdosage. Il y a certainement un effet de mode actuellement. Il faudrait davantage de recherches. Les compagnies pharmaceutiques sont déjà sur le coup. C’est une course pour un composé synthétique brevetable sans l’effet hallucinogène. Pour nous, il est important que la psilocybine ne soit pas un modèle qui demeure uniquement entre les mains des psychiatres. »
Commenter sur-le-champ et définir en mots une situation émouvante ou un état cénesthésique complexe, c’est se mettre en travers de ce qu’on ressent. C’est s’en éloigner. — Henri Michaux, poète, «La psilocybine», 1960
N’ayant pas de médecin de famille, Marc, un jeune professionnel de 29 ans, a tenté de traiter une dépression modérée autodiagnostiquée durant la pandémie à l’aide des psychédéliques. Il a essayé la psilocybine en microdoses et deux fois en macro durant quelques mois. Il a préféré le LSD à la psilocybine. « Le mush, c’est plus intérieur, ça augmente l’introspection, note-t-il. J’étais plus conscient des gens, de mon environnement. Ça m’a aidé à prendre conscience de certaines choses, mais ça ne fait pas le travail à ta place. » Marc avait lu le livre Voyage aux confins de l’esprit, du journaliste Michael Pollan, et regardé le documentaire Fantastic Fungi sur Netflix. « Ces expériences avec les psychédéliques m’ont apporté une nouvelle perception du monde, j’ai appris sur moi. Ça fait grandir comme personne. Ça ne crée pas de dépendance, mais lorsque je microdosais, j’en prenais tous les trois jours et j’avais hâte de retrouver cet état plus perceptif… » Il n’a eu aucun mal à arrêter depuis.
Une révolution normale
Pour l’anthropologue médicale Jessica Cadoch, cette révolution attendue par bien des usagers n’est pas une surprise. La Montréalaise de 28 ans a étudié à l’Université McGill et s’est établie à Denver, aux États-Unis, depuis deux ans à titre de consultante éthique pour des compagnies qui promeuvent l’usage thérapeutique des psychédéliques. Selon elle, les législations changent doucement vers la légalisation, me dit-elle en visioconférence depuis le Colorado.
« Plusieurs villes ont décriminalisé l’usage de la psilocybine aux États-Unis, comme Denver, Washington, Seattle, et l’État de l’Oregon l’a même légalisé pour l’usage thérapeutique. Nous ne serons plus au même endroit dans 15 ans, ce sera une autre mentalité. »
Par contre, Jessica se méfie de ce qu’en fera le Big Pharma. « Tu ne peux pas breveter la psilocybine. C’est un marché potentiel, et nous sommes dans un marché capitaliste. Les communautés doivent s’organiser pour qu’il n’y ait pas qu’un seul modèle. La psilocybine, ce n’est pas comme l’alcool : il n’y a pas de dose létale. Le “set and settings”, l’état mental et l’environnement dans lequel tu en prends, sont importants. Si on a un historique de psychose, il faut faire attention. Ça peut arriver. Mais il y a des risques aussi à faire de l’escalade ou à prendre des médicaments. »
J’ai davantage appris sur le cerveau et ses possibilités pendant les cinq heures qui ont suivi la prise du champignon que pendant mes quinzeannées d’études et de recherches — Timothy Leary, psychologue à Harvard, 1965
L’anthropologue médicale voit dans ces thérapies sous influence, qui parfois guérissent les gens en une seule séance, une avenue prometteuse : « Nous souffrons tous. Nous avons tous besoin d’aide. Notre système actuel en santé mentale n’a pas le succès escompté. Les antidépresseurs qu’on doit prendre à vie n’offrent qu’un Band-Aid. »
La menace psychédélique est-elle médicale ou plutôt culturelle, politique et économique ? Telle est peut-être la question.
Conseil d’usage : Consultez un médecin avant de vous administrer des substances illégales et de vous autodiagnostiquer une maladie mentale. Namasté.
Source: https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/766103/chronique-la-saison-des-champignons
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